Créolité

En puisant dans ses expériences de vie sur trois continents, Maryse Condé interroge dans son œuvre, les liens entre Afro-américains, Caribéens et Africains. Sa famille guadeloupéenne a cultivé un attachement exclusif à la France. C’est surtout au Ghana qu’elle se questionne sur son identité plurielle, écartelée par l’histoire et ses discontinuités de plusieurs siècles. Elle y est également témoin d’un autre éloignement, social. Quand les intellectuels, surtout afro-américains, conceptualisent leur retour en Afrique, Maryse Condé y voit un «ré-enracinement» théorique, coupé des réalités et de la pauvreté des Ghanéens. D’autres partitions se créent et produisent de nouvelles hiérarchies sociales. Elle en conclut que la couleur n’est pas le facteur essentiel, et que la culture est primordiale : Afro-américains ou Antillais sont perçus comme «blancs» par les Africains, leur posture volontiers condescendante les apparient plus aux colons blancs qu’à une fraternité de couleur.

Si ses romans suivent le sillon de la quête identitaire des Antillais, elle postule que la réduire à l’Afrique est une impasse. La généalogie n’enjambe pas les siècles en ignorant la complexité et l’intrication des héritages et des expériences individuelles. Le concept de «créolité» a été fixé par un corpus d’essais et d’auteurs, l’approche de Maryse Condé est fluctuante, refuse de se laisser saisir de façon définitive. Les temps changent, la vie change, les rencontres, les expériences sont autant de nouveaux points d’appui pour poser son regard sur le monde, sur soi.

Maryse Condé ne choisit pas son camp, son anticonformisme nourrit un sentiment d’inconfort communautaire, elle se vit comme étrangère en Afrique, ce qui, dira-t-elle la rapprochera de son mari britannique.
Dans la postface des actes du colloque «Penser la créolité» qu’elle organise à l’Université du Maryland, elle postule le droit à la créativité et le refus des carcans idéologiques : chacun doit pouvoir vivre «sa créolité» comme il l’entend. Ces actes sont publiés en 1995, aux éditions Karthala.
Sa conception de la créolité n’est pas toujours orthodoxe, à ce sujet son époux et traducteur Richard Philcox déclare : «L’univers créole qu’offrent les livres de Maryse ne correspond pas toujours à l’idée reçue, au stéréotype de la Caraïbe. Il pose plutôt des problématiques que l’éditeur aurait souhaité éviter. Mais puisque l’œuvre de Maryse est de plus en plus étudiée dans les écoles et les universités américaines, la question du nombre d’exemplaires vendus prime sur un univers qui dérange.»