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Inspiration Bénin – Entretien avec Eléonore Labattut

Inspiration Bénin – Entretien avec Eléonore Labattut

Eléonore Labattut

À la rencontre d’Éléonore Labattut : entre passion et parcours inspirant

Architecte et géographe de formation, Eléonore Labattut tente des traits d’union entre plusieurs formes de recherche sur l’espace urbain et les territoires. Elle travaille à la fois comme architecte dans des projets de développement urbain et comme artiste, les deux pratiques se nourrissant de mêmes questions et d’outils partagés, notamment le recours à des méthodes participatives.

 L’univers artistique de Eléonore Labattut

Les thèmes de travail d’Eléonore incluent les menaces de disparition et d’altérations qui pèsent sur certains milieux, et les différentes formes de mémoires qui peuvent collectivement ou intimement nous aider à appréhender ces évolutions, tout comme les rapports de force, résistances, narrations et contre-narrations qui y sont liés.

La formalisation de ces recherches a été présentée récemment au Portugal à l’occasion de deux expositions. La première, « Émancipation du Vivant », centrée sur le territoire du Barroso, aujourd’hui menacé par la construction d’une des plus grandes mines de lithium d’Europe, la deuxième évoquant les « domicides », soit les éradications de logements populaires qu’ont connues les grandes villes portugaises au cours des 10 dernières années.

Deux autres sont en préparation pour l’automne, avec une série d’installations sonores et musicales, en collaboration avec d’autres artistes, pour évoquer des lieux qui disparaissent au Portugal en raison du changement climatique ou de grands travaux de construction, ainsi qu’un projet basé sur la mémoire des lieux d’origine avec des habitant.e.s de Lisbonne immigré.e.s issus de différentes communautés.

Porto-Novo : Essai  cartographique

Son projet sur la ville de Porto-Novo, capitale du Bénin, propose une cartographie alternative de Porto-Novo, qui allie données géographiques et récits personnels pour révéler des strates invisibles de la ville. Il retrace le témoignage de l’influence du patrimoine architectural afro-brésilien dans la structuration de la ville de Porto-Novo. La collaboration avec le Centre Ouadada lui assure une pertinence locale et une immersion totale dans les communautés de la capitale béninoise. Dans cet article, nous vous proposons d’en découvrir davantage sur cet essai cartographique alternative de Porto-Novo.

 

Parle nous de ta résidence à Porto-novo

Dans le cadre de cette résidence Inspiration Bénin, j’ai travaillé un mois à Porto-Novo sur l’histoire de la ville, ses différents patrimoines et son évolution au fil de l’histoire. Pour ce travail, je me suis beaucoup intéressée à la perception de la ville par les différentes communautés qui constituent aujourd’hui Porto-Novo et j’ai pu constater très rapidement qu’il n’y avait pas un grand mythe unificateur mais que chaque communauté avait des histoires très spécifiques pour raconter comment la ville était formée, comment ces communautés étaient arrivées et sur quel territoire en fait la ville avait commencé à se développer.

Ça a été une résidence de recherche, A son issue, j’ai essayé de mettre en forme la recherche sous la forme d’une installation qui a été présentée au public et j’ai proposé différents objets.

 

Dis-nous en plus sur ces objets que tu as exposés 

Les participants étaient accueillis par la dégustation d’une tisane qui a été composée par les phytothérapeutes du marché traditionnel des plantes médicinales à Porto-Novo. Cette tisane avait des propriétés qui permettaient aux spectateurs et aux visiteurs de se connecter à une vision qui allait au-delà de la vision de nos simples sens, de se connecter à un autre niveau de conscience mais également une propriété de faire émerger des souvenirs et donc de se plonger dans le temps et dans le passé.

Tisane préparée par Eléonore Labattut       Eléonore Labattut et Hélène Lagnieu

Ensuite, il y avait un assemblage de différentes nasses de pêche qui étaient assemblées du sol au plafond. C’était une façon de représenter un peu le processus de recherche dans le cadre duquel on s’oppose à l’immensité des histoires qu’on peut recueillir. On en attrape certaines, d’autres nous échappent. C’était un peu pour représenter ce processus de recherche.

Il y avait également à la disposition des visiteurs ces extraits d’entretiens que j’ai réalisés avec sept personnes qui sont issues de différentes communautés. Dans ces audios, on entend leurs perceptions, leurs descriptions de la formation de la ville et comment leurs communautés se sont installées à Porto-Novo. Ce sont des histoires qui entre elles sont assez contradictoires, donc il y a des mythes de fondation qui peuvent s’opposer, avec qui est arrivé le premier, sur quel territoire, quelles sont aujourd’hui les royautés qui sont légitimes, celles qui ne le sont pas. C’est un peu toutes ces histoires-là qui ont été confrontées.

Extraits d'entretiens réalisés par Eléonore Labattut

Qu’est ce qui t’a le plus marquée dans toutes ces histoires ? 

Ce qui m’a frappée, c’est qu’il y a à la fois ces histoires de conflits qui sont parfois très violentes mais, en même temps, il y a une volonté de vivre ensemble et une harmonie qui est extrêmement forte. Cette harmonie à Porto-Novo pour moi, représente un véritable modèle de ce que pourrait être une cohabitation harmonieuse pour le monde entier. Donc ces histoires parlent à la fois de conflits, mais aussi de vivre ensemble.

Que représente l’installation que tu as réalisée ? 

J’ai voulu symboliser mes recherches à travers la présentation d’une carte qui est constituée de cinq calques, de cinq couches qui sont cinq évolutions historiques de la ville de Porto-Novo depuis Adjassin, la ville de la fondation, jusqu’à la ville contemporaine qui a explosé en taille et qui aujourd’hui a un tissu extrêmement diffus, extrêmement urbain.

Cartographie à base d'éponges_Eléonore Labattut

Cette carte elle est presque transparente, elle est molle et elle est pleine de couleurs à peine visibles. Mais quand on se place devant on arrive à percevoir toutes ces couches de temps. Certaines de ces couches ont été effacées ou tentées d’être effacées par celles qui sont venues par-dessus. Comme par exemple au moment de la colonisation qui a essayé d’effacer certaines traces du passé.

Cependant on voit bien que ces éléments du passé ne disparaissent jamais et sont toujours là de façon plus ou moins visible et aujourd’hui la ville constitue ce tout, avec des patrimoines qui sont plus ou moins valorisés.

Dans cette carte j’ai essayé aussi de symboliser sept lieux qui ont émergé des différents entretiens que j’ai faits, sept lieux que je dirais « en dispute », qui représentent un peu ces mutations du territoire, ces façons dont une mémoire a été effacée par une autre et qui représentent également la complexité et parfois même la violence de la manière dont on construit les villes et dont on essaie de valoriser certaines mémoires ou d’autres.

Les sérigraphies

Ce parcours se conclut avec deux sérigraphies. J’ai été très intéressée de travailler cette technique qui elle-même est une trame, puisque c’est une toile au travers de laquelle on passe une encre. J’ai travaillé avec quelqu’un à Porto-Novo pour développer ces sérigraphies.

Les deux photographies et les deux sérigraphies, représentent deux de ces sept points que j’ai identifiés sur la carte :

  • La statue du roi Toffa, qui est sur une place qui était d’un nom colonial, qui a été débaptisé, qui aujourd’hui porte le nom d’un héros local et national. Mais en même temps cette statue aujourd’hui est remplacée par une autre. Donc c’est ces couches d’histoire que j’essayais de représenter à travers cette sérigraphie.

Roi Toffa _Eléonore Labattut

La maison des parents d'Eléonore Labattut

  • la maison où ont vécu mes parents juste avant ma naissance. Et c’est aussi une histoire personnelle avec Porto-Novo qui court un peu de façon souterraine dans tout ce travail.

Elle vient conclure l’exposition et représente aussi mon lien avec la ville.

Qui a été ton partenaire artistique au cours de cette résidence ? 

Pour cette résidence, j’ai eu la grande chance de travailler en partenariat avec le centre culturel Ouadada et son directeur Gérard Bassalé, qui non seulement ont accueilli la phase de restitution finale du travail, mais m’ont accompagnée tout au long du processus, en me mettant en relation avec différentes personnes, en m’aidant à faire des visites, en m’emmenant rencontrer des personnes clés et en m’emmenant aussi dans des lieux de la ville.

C’est une institution qui connaît extrêmement bien la ville, puisqu’elle participe aussi à sa transformation actuelle en travaillant notamment sur la rénovation des places vaudou.

Ce partenariat a été vraiment essentiel pour moi pour développer mes recherches. Je pense aussi que ce n’est qu’une étape et que ce projet va se développer par la suite, et j’espère surtout que ce partenariat continuera sous d’autres formes.

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